Mobility Blog

Partie 2 : Le Grand entretien - Aurélien Bigo

 

Aurélien Bigo est chercheur sur la question de la transition énergétique des transports. Il a écrit la thèse "Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement". Aurélien nous fait le plaisir de nous partager ses travaux pour éclairer notre compréhension des mobilités et de leurs perspectives face au défi de la transition énergétique.  

Partie 2 : La mobilité 2030-2050

 

Pourquoi est-il indispensable de faire évoluer nos mobilités ?

On peut citer un certain nombre de problèmes posés par la manière que nous avons de nous déplacer :

  • D’abord la transition énergétique des transports. On a des objectifs très rapides de baisse des émissions de gaz à effet de serre. C’est vraiment une rupture qui est attendue à court terme, puis zéro émission directe à l’horizon 2050 pour les transports terrestres. C’est-à-dire qu’on sorte du pétrole à horizon 2050 pour les transports terrestres.
  • Il y a aussi l’enjeu de la pollution de l’air. Elle est causée en grande partie par la combustion du pétrole, mais aussi par l’abrasion des pneus, des freins, de la chaussée pour ce qui est de la pollution aux particules. C’est un enjeu sanitaire important.
  • Le pétrole est une ressource limitée dont il faut réussir à se séparer de gré en agissant contre le changement climatique ou de force si l’on attend l’épuisement des ressources ou des contraintes de plus en plus fortes d’un point de vue géopolitique, d’un point de vue accès à la ressource, ou d’un point de vue coût de l’exploitation du pétrole. On peut aussi avoir des problématiques de ressources avec d’autres vecteurs énergétiques. Par exemple avec les métaux pour l’électrification, avec l’électricité pour l’électrification ou l’hydrogène bas carbone, ou encore avec la biomasse si on passe aux biocarburants ou aux biogaz.
  • Nous avons aussi un enjeu d’occupation de l’espace avec les impacts sur la biodiversité, sur l’artificialisation des sols. Il y a un besoin de rééquilibrer l’espace public pour prendre de la place à la voiture et la donner aux modes de transport alternatifs (les modes actifs, les transports publics…) ou à d’autres usages de l’espace public, revitaliser les villes ou revégétaliser pour mieux s’adapter au changement climatique.
  • Il y a des enjeux d’accidentalité routière, avec notamment une mortalité routière qui ne baisse plus depuis 10 ans après avec eu de forts progrès depuis les années 70.
  • Les mobilités actuelles sont aussi très inactives. Une étude de 2022 montre que 95% de la population française a un niveau de sédentarité qui présente des risques pour la santé. Il y a donc un besoin de retrouver des mobilités plus actives comme la marche ou le vélo.
  • Enfin, notons un autre enjeu sanitaire avec la pollution sonore qui a des impacts sur la santé (maladie cardiovasculaire, obésité, hypertension) et la qualité de vie. 2/3 de la pollution sonore provient des transports.

En plus des sujets environnementaux, on a aussi des enjeux sociaux dans l’accès à la mobilité selon les revenus, les territoires, le genre, les capacités physiques… Il y a aussi des enjeux économiques à prendre en compte avec l’emploi qui va être impacté par la transition des mobilités.  

Si on se limite au sujet gaz à effet de serre, peut-on imaginer un découplage entre la mobilité et les émissions de gaz à effet de serre pour le futur.

Oui et on n’a pas le choix. Rappelons qu’il faut arriver à zéro émission directe pour les transports terrestres en 2050. Donc, sauf à ne plus du tout se déplacer, il faut un découplage.

Une partie du découplage sera possible avec les leviers technologiques. L’électricité en est un. Si on ne regarde que les émissions directes, l’électricité, c’est zéro émission directe. Maintenant, en regardant en analyse de cycle de vie, le véhicule électrique est loin d’être zéro émission. Il faut donc autant que possible moins utiliser la voiture, utiliser des véhicules plus légers et avec une batterie correctement dimensionnée.

En France, en analyse de cycle de vie, on divise par un facteur entre 2 et 5 les émissions entre un véhicule électrique versus un véhicule thermique. Ce n’est donc pas suffisant pour atteindre nos objectifs climatiques.

Il va donc falloir y associer de la sobriété pour atteindre la rupture prévue à court terme. Pour le court terme, l’électrification est insuffisante car le renouvellement du parc est assez lent. En 2022, les véhicules électriques représentaient 13% des ventes, pour seulement moins de 2% du parc. Le renouvellement est donc lent et cela nécessite d’autres leviers de transition.    

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Quels sont ces autres leviers que nous devons activer ?

Nous avons 5 leviers d’actions :

  • La limitation des kilomètres parcourus en aménageant le territoire et nos modes de vie vers davantage de proximité (travail, voyages…).
  • Le report modal vers des modes moins impactant, en particulier la marche, le vélo ou les transports collectifs comme les trains, les bus, les cars.
  • Le meilleur remplissage des véhicules, avec particulièrement le covoiturage sur le domicile-travail.
  • Réduire la consommation des véhicules avec de la sobriété (véhicules plus légers, plus sobres, écoconduite, baisse de la vitesse sur autoroute) ou de l’efficacité énergétique (amélioration des rendements des moteurs, électrification…)
  • Baisser l’intensité carbone de l’énergie en passant du pétrole à des énergies moins carbonées comme l’électricité, l’hydrogène, les biocarburants ou le biogaz… A condition que ces vecteurs soient produits aussi bas carbone et durable que possible ce qui n’est pas le cas. Actuellement en France, seule l’électricité est décarbonée à plus de 90% alors que les 3 autres sont carbonés ou issus des énergies fossiles à plus de 90% en France.

La technologie sera donc très importante mais elle sera loin d’être suffisante pour atteindre les objectifs. La sobriété sera indispensable avec notamment la modération de la demande, le report modal, le meilleur remplissage des véhicules et la sobriété des véhicules.

Par ailleurs, la sobriété aura davantage de co-bénéfices sur les autres externalités listées ci-dessus.

 

Vous parlez régulièrement de la solution des véhicules intermédiaires. De quoi s’agit-il ?

Ce sont des véhicules qui se situent entre le vélo classique et la voiture. Ils font moins de 500 kg. Les plus proches de la voiture sont une manière de rendre la voiture beaucoup plus sobre qu’aujourd’hui : plus légers, moins de places, moins rapides, avec une autonomie moins élevée. En comparaison de la voiture, ils seront très sobres en matériaux et en énergie sans transformer profondément les usages. Cela peut correspondre à des mini-voitures, ou à des voiturettes accessibles dès 14 ans. L’âge d’accès n’est pas forcément favorable en termes de transition car cela peut habituer les adolescents à la motorisation alors qu’ils n’ont accès actuellement qu’aux transports en commun, à la marche, au vélo ou éventuellement au scooter. Pour avoir un intérêt environnemental, il faut bien sûr que ces véhicules se développent en remplacement de la voiture. Dans les véhicules les plus proches des vélos, on a le vélo à assistance électrique (VAE) qui transforme déjà les usages en étendant le domaine de pertinence du vélo. On peut aller plus vite, plus loin, avec moins de fatigue, passer plus facilement les reliefs, ne pas arriver transpirant. On a aussi le vélo cargo pour emporter des charges, des enfants. Nous avons aussi les vélos pliants qui permettent plus facilement l’intermodalité avec les transports en commun. Le vélo adapté pour des personnes à mobilité réduite ce qui étend le domaine de pertinence du vélo. Citons aussi les speed pedelecs. Ce sont des sortes de vélos à assistance électrique bridés à 45 km/h au lieu de 25 km/h. Ils passent donc dans la catégorie des cyclomoteurs mais sont aussi efficaces énergétiquement que les VAE. Leur vitesse leur permet de bien mieux s’insérer dans la circulation des zones moins denses ou rurales. Enfin, il y a des véhicules vraiment intermédiaires entre voiture et vélo et qui font l’objet de nombreux projets, notamment dans le cadre de « l’extrême défi » de l’ADEME. Il y a les vélomobiles, ce sont des vélos couchés carénés, avec donc une carrosserie, et qui sont très aérodynamiques. Il y a aussi la version surélevée qui donne un peu plus de confort et de visibilité. Des vélo-voitures qui ressemblent à une micro-voiture, mais beaucoup plus légère (moins de 100kg) et un système de pédalage à assistance électrique. Ces véhicules sont confortables, protègent des intempéries, apportent les bénéfices de l’activité physique pour la santé avec une utilisation qui se rapproche de la voiture mais avec des vitesses plus réduites.  

Qu’est-ce que ces nouvelles pratiques vont impliquer sur le plan professionnel, notamment pour le trajet domicile-travail en 2050 ?

Si on reprend les différents leviers et qu’on regarde comment ils se matérialisent sur le trajet domicile-travail.

  • Il faudra rechercher plus de proximité entre son lieu de travail et son domicile, même si ça ne sera pas possible pour tous. Il y aura aussi du télétravail. On va devoir se relocaliser. Il y a déjà des signaux faibles en la matière comme la start-up « 1km à pied » qui fait en sorte de réaffecter des employés d’une organisation multi-établissements vers un site plus proche de son domicile.
  • Il y aura aussi une évolution des parts modales avec une réduction de la place de la voiture pour davantage de marche, de vélo, de transports en commun. Pour l’usage de la voiture, le covoiturage devra être davantage systématisé avec des plans de mobilités mis en place par les entreprises et des incitations financières bien plus fortes. En plus du partage du trajet, on devrait aussi davantage partager les véhicules avec les solutions d’autopartage. L’autopartage s’appliquera aussi pour les déplacements professionnels avec des flottes partagées de véhicules bas carbone ou de vélos.
  • L’électrification se sera faîte une place de plus en plus forte dans les transports. Pour les voitures, les transports en commun, mais aussi pour les véhicules intermédiaires. Ces véhicules intermédiaires apporteront une flexibilité. On a une grande diversité de besoins de mobilités, mais aujourd’hui et on a tendance à y répondre un peu trop systématiquement avec la voiture qui est un mode normé et très souvent surdimensionné.  

L'équipe Business Intelligence Consulting